C’est en investissant les imaginaires collectifs de sa version du progrès humain que l’Occident a gagné une bataille décisive. C’est de ce siège qu’il s’agira de le déloger pour laisser la place à d’autres possibles. 

Felwine Sarr, écrivain, économiste et universitaire.
Extrait d’Afrotopia, éditions Philippe Rey, 2016

L’étrangeté de l’ailleurs ressentie par l’étranger voyageur provoque d’équivoques images. Les stéréotypes ambivalents s’interposent et s’opposent à la réalité. La relativité du regard voilé par les filtres culturels et le poids de l’histoire, démontre que la capacité d’observer le monde sans produire des clichés exige une vigilance permanente dont s’arment les photographes. Avant de quitter Grenoble pour Kédougou, Stéphanie Nelson définit les orientations artistiques de son projet, en souhaitant éviter les images attendues, le cœur ouvert à l’inconnu. 

Quatre semaines de vives discussions animent la rencontre de Stéphanie Nelson avec la jeunesse de Kédougou, l’avenir du pays. Les témoignages enchaînent rêves et désillusions : le sentiment de vivre sur un territoire isolé, voire oublié ; le choix de respecter ou de s’émanciper de la religion et des traditions ; l’espoir de suivre des études et de s’ouvrir au monde ; le constat de la précarité des habitants, alors que des sociétés multinationales exploitent les richesses aurifères des sous-sols ; la résignation à émigrer, conscient de l’improbable retour. 

En réaction à l’expérience vécue à Kédougou, Stéphanie Nelson abandonne ses premières intentions artistiques. Délaissant les denses couleurs des scènes photographiées, elle nuance d’un gris de plomb profond les portraits des modèles mués en personnages fantomatiques. Les paysages perdent leurs teintes d’ocre rouge et projettent des couleurs irréelles et sourdes. L’absence de descriptions – chaque photographie demeure « sans titre » – parachève d’exprimer le doute ressenti par l’artiste : chargés de nos représentations, sommes-nous dans l’incapacité et dans le refus de voir l’autre ? 

Yuliya Ruzhechka et Franck Philippeaux, commissaires de l’exposition au Musée dauphinois – mai 2021